Comment se situe l’Espagne par rapport aux autres pays en matière d’accessibilité au logement ?
Last Updated on 1 décembre 2025 by Equipo Urbanitae
Acheter ou louer un logement devient de plus en plus difficile, en particulier dans les grandes villes caractérisées par des augmentations constantes des loyers. Selon un rapport récent publié par le Conseil de l’Union européenne, l’Espagne n’échappe pas à cette tendance. Les prix de l’immobilier ont augmenté de 58,3 % entre 2015 et 2025, et en Espagne, ce chiffre atteint 72 %. Cela place l’Espagne dans une position à risque par rapport à d’autres pays européens : la France, par exemple, a connu une hausse de 26,7 %, tandis que l’Italie n’a enregistré qu’une augmentation de 13,3 %.
À ce stade, Enrique Martín, directeur associé chez Afi et expert en logement, rappelle que « les chiffres agrégés montrent que le coût du logement représente une dépense élevée pour les ménages dans la plupart des pays de l’UE. En Espagne, le poids est similaire à la moyenne de l’UE et semble relativement équilibré ; cependant, des différences importantes existent selon l’âge, le niveau de revenu et la nationalité. » Il ajoute : « Les jeunes et les immigrés, en particulier ceux ayant de faibles revenus, rencontrent beaucoup plus de difficultés pour accéder au logement, ce qui met en évidence le besoin de disposer d’un parc de logements abordables. »
L’Espagne dans le contexte international : un écart qui ne connaît pas de frontières
Pour comprendre ce phénomène, deux dimensions doivent être prises en compte : le niveau des prix du marché (que ce soit par le biais d’un prêt hypothécaire ou d’un contrat de location) et le poids financier que représente cette dépense. Plus le pourcentage du revenu consacré au logement est élevé, plus la capacité économique des citoyens diminue, générant ainsi davantage d’inégalités.
Le taux d’effort logement mesure la capacité de la population à assumer l’achat d’un logement. Si un ménage doit consacrer plus de 30 % de ses revenus au logement, le marché est considéré comme inaccessible.
Dans ce contexte, cet indicateur révèle un scénario complexe : les ménages espagnols figurent parmi ceux qui consacrent le plus de revenus à la location dans la zone euro. En particulier, Madrid et Barcelone sont parmi les villes où les ménages consacrent la plus grande part de leurs revenus au loyer, atteignant 74 %, selon le rapport du Conseil européen. Dans le même classement, Milan se situe juste derrière Madrid avec 72 %, Rome à 65 %, et Lisbonne en tête avec 116 %.
L’un des aspects les plus pertinents de ce débat est que la hausse des loyers creuse de plus en plus l’écart, affectant particulièrement les jeunes. Selon une étude du Conseil de la Jeunesse espagnole (CJE), l’âge d’émancipation des jeunes en Espagne augmente chaque année, dépassant 30 ans, tandis que la moyenne européenne est de 26,4 ans.
Derrière les prix : quels facteurs expliquent cette situation ?
La difficulté d’accès au logement en Espagne ne résulte pas d’une seule cause. Un marché tendu, une offre limitée et des politiques publiques inefficaces convergent dans un système résidentiel de plus en plus déstabilisé. L’offre n’a pas augmenté au même rythme que la demande, en particulier dans les capitales provinciales et les zones côtières.
Enrique Martín souligne que « les tensions sur le marché du logement ont des causes multiples et interconnectées. Il est vrai qu’il existe un déséquilibre entre les besoins en logement liés à la création de foyers et la construction de logements, mais il est tout aussi vrai qu’environ un tiers des logements neufs construits ne sont pas destinés à être des résidences principales, mais des résidences secondaires ou pour d’autres usages. » Il rappelle également que « les logements neufs sont nettement plus chers que les logements anciens, en moyenne plus de 50 % au niveau national, ce qui souligne le manque de logements neufs abordables. »
Derrière cette situation, la rareté des terrains et la faible production de logements neufs continuent de faire pression sur les prix, agissant comme des facteurs décisifs. L’absence de terrains constructibles limite la capacité à construire de nouveaux logements et donc à élargir l’offre disponible. La complexité des processus administratifs et urbanistiques continue de retarder pendant des années le lancement de nouveaux projets, augmentant le coût final du logement.
Le tourisme de masse et la hausse des logements de vacances ont également réduit l’offre résidentielle dans les centres urbains. Les capitales provinciales et des villes comme Madrid et Barcelone ont connu un processus de gentrification important, empêchant la stabilité des prix de l’immobilier.
Le thermomètre résidentiel : que signifie la déclaration d’une zone « tendue » ?
Barcelone, le Pays basque ou la Galice disposent déjà de zones déclarées comme tendues, faisant référence à l’incapacité économique des habitants à accéder à un logement dans ces zones. La croissance dynamique constatée dans certaines villes comme Bilbao, La Corogne ou Saint-Sébastien contraste avec l’offre limitée de logements, incapable de répondre à l’expansion liée à l’arrivée de nouveaux habitants.
Pour être déclarées ainsi, les zones doivent respecter plusieurs critères, notamment que le coût moyen du logement avec charges dépasse 30 % du revenu moyen du ménage ou que le loyer moyen ait augmenté de plus de 3 % au-dessus de l’IPC cumulatif des cinq dernières années. Ces zones peuvent également présenter une offre limitée de logements principaux, une forte concentration de logements touristiques ou d’investissement et une augmentation continue des loyers. Cet outil a été introduit par la loi sur le logement de 2023, et plus de 300 municipalités ont été reconnues à ce jour sous cette désignation.
En ce qui concerne son effet, Martín explique que « dans de nombreux cas, il n’y a pas le temps de disposer de preuves des impacts, et certaines mesures peuvent conduire à des conclusions contradictoires. Un premier effet est la baisse de la rotation des locataires, ce qui peut se traduire par une diminution du nombre de contrats et de biens proposés à la location ; cela ne signifie toutefois pas nécessairement que le volume total de logements loués diminue. » Il insiste sur le fait que « le contrôle des loyers ne peut être qu’une mesure temporaire » et qu’il doit servir à « gagner du temps pour appliquer un ensemble de mesures visant à résoudre les tensions du marché, à mobiliser davantage de logements locatifs, à réduire les risques pour les propriétaires, à créer un nouveau parc de logements abordables et à renforcer l’investissement. »
Cette déclaration permet d’appliquer certaines mesures réglementaires telles que des incitations fiscales, des plafonds de loyers ou des aides publiques afin de modérer les hausses excessives et d’améliorer l’accès au logement.
Facteurs et solutions pour améliorer l’accessibilité
L’un des besoins les plus directs se concentre sur l’optimisation du parc de logements existant grâce à la construction de nouveaux logements, élément indispensable pour soulager la pression sur le marché résidentiel. L’impossibilité de développer de nouveaux plans résidentiels révèle un scénario qui restreint de plus en plus l’accès au logement. Selon les estimations de la Banque d’Espagne, 700 000 logements seront nécessaires pour équilibrer le marché.
L’investissement immobilier est essentiel pour dynamiser le secteur, contribuer à la modération des prix, relancer les projets paralysés et soulager le manque d’offre résidentielle. Une autre façon d’équilibrer l’offre et la demande est la reconversion et/ou la réhabilitation des bâtiments existants. Cette tendance, confirmée en 2024 par CBRE, représentait 60 % des opérations à Madrid.
Les bureaux, locaux commerciaux et hôtels sous-utilisés étant nombreux, favoriser le changement d’usage de ces biens peut soulager la pression sur les marchés tendus et améliorer la situation complexe actuelle.
L’Espagne présente un net désavantage en matière de logement public par rapport à d’autres pays européens, comme l’Autriche. Sa capitale est considérée comme l’une des villes ayant les meilleures politiques de logement, avec 43 % du foncier sous régime résidentiel public. Ce modèle s’éloigne des possibilités actuelles de l’Espagne en raison de contraintes structurelles et des politiques mises en œuvre.
En ce qui concerne la solution à l’accès au logement, Enrique Martín souligne qu’« il est impossible de penser qu’une seule mesure ou réforme puisse apporter la solution, surtout à court terme ». S’il devait prioriser, il insiste sur « la constance : constance dans l’exploration de toutes les mesures possibles, dans leur application, dans l’évaluation des résultats et dans leur adaptation en fonction des preuves ». Ce n’est qu’ainsi, affirme-t-il, que des résultats pourront être observés à moyen et long terme.